La première fois que je l’ai vu, je devais avoir quatre ans… C’était à Mexico, où j’habitais alors, dans l’église de la Sagrada Familia, Calle Orizaba, toute proche de la maison où ma nurse, l’indienne Cecilia, me menait pour aller prier avec elle… C’est là, la toute première fois, que je le vis. Son corps cloué sur une croix de bois, la tête ceinte d’une couronne d’épines qui lui faisait perler des gouttes de sang sur le front, les tempes et tout le visage… Je me mis à pleurer… Je ne comprenais pas pourquoi il était ainsi, exposé, cloué au mur, son regard d’homme mort si vivant, son agonie… Un sentiment d’effroi me saisit, une incompréhension totale, doublée d’un sentiment de grand mystère puisque des gens s’agenouillaient face à lui, semblant le remercier d’être là…
Moi, toute petite, je sanglotais et j’avais peur. Ma nurse Cecilia me disait tout bas : « No llores nina ! Es el Cristo rey ! Murio sobre en la cruz para salvarnos. Es el hijo de Dios. Ne pleure pas petite, c’est le Christ roi ! Il est mort sur la croix pour nous sauver. C’est le fils de Dieu. » Au milieu de mes pleurs, à cet instant, je vis qu’il était infiniment beau, je me mis à l’aimer, je voulais le détacher de sa croix, panser ses plaies, mettre de l’eau sur son visage, l’embrasser… Le sauver. Cette première communion avec lui m’a marquée à jamais. Mon amour est resté celui-là. Je n’ai jamais cessé de l’aimer, de le vénérer. Plus tard, j’ai eu connaissance, bien sûr, des catéchismes, des versets, des textes canoniques, des évangiles, mais il est resté celui dont le visage bouleversant de douleur, de mystère, de beauté, n’a cessé de m’éblouir.
J’ai toujours voulu, à mon tour, le protéger. C’est mon secret accord avec lui et il me semble qu’il le sait. Autour de ce visage, de ce corps aimé, s’inscrit mon inaltérable dévotion. Dans cette même église, un peu plus loin, sur une fresque qui faisait toute la largeur de la nef, qui en prenait toute la coupole, encadrant dans une perspective infinie le Père, le Fils et le Saint-Esprit, dans les cieux, jouant du luth, de la lyre et des trompettes, je les ai aperçus ! Ils étaient là, les anges ! Mon cœur bondit à la vue pour ces créatures célestes qui pouvaient d’un battement d’ailes être les intercesseurs entre le Ciel et la Terre. J’aimai immédiatement et follement les anges. Et puis, dans une chapelle annexe, entourée de cierges et de fleurs dans une niche étoilée, je la découvris, elle, la Vierge ou plutôt celle qui apparut aux yeux de l’humble berger indien qui promenait ses moutons, la Virgen de Guadalupe. Je sus, ce jour-là, que j’étais irrémédiablement catholique.
C’est avec joie que j’ai accepté d’être la rédactrice en chef d’un magazine qui parle de ma relation au « Cristo Rey », de notre rapport à Jésus Christ en 2018, qui jette une lumière inquiète et merveilleuse sur le Ressuscité ! Ce Cristo Rey, ce Dieu, ce prophète qui marque la culture contemporaine d’un sceau indélébile chez les artistes, les religieux et les grands couturiers, les chefs cuisiniers et tant d’anonymes qui s’engagent au nom de leur foi. Ce numéro propose l’audacieuse question transgressive par excellence « Jésus et les femmes » néanmoins entre l’oubli et la surexposition, la passionnante Marie- Madeleine jaillit au visage de qui veut bien le voir, « le sublime de la chair et de l’esprit. » Nous avons essayé de parcourir les différentes communautés de croyants, j’ai découvert une étonnante communauté originaire d’Australie : l’église évangélique Hillsong qui se réunit dans une salle de music-hall pour célébrer le Christ en musique. Je vous laisse découvrir au fil des pages, ces différents visages de Jésus !