Corps Célestes – Jésus dans la mode

Publié le 16/11/2018

Les créateurs de mode se tournent-ils vers la foi, en période d’incertitude ? Il semblerait que ce soit le cas, puisque les emprunts à l’imaginaire religieux sont aujourd’hui plus subversifs que jamais dans l’univers de la mode, comme dans celui des arts, du théâtre, du cinéma et des clips musicaux. Récemment, les podiums de Paris, Milan et New York affichaient un retour flamboyant de motifs d’inspiration chrétienne ou biblique.

Aujourd’hui, les vêtements inspirés de la symbolique religieuse sont très largement recherchés par l’univers de la mode et du show business pour leurs qualités décoratives, comme pour leur capacité à choquer et blasphémer. Plusieurs pop-stars l’ont montré au fil du temps : de Madonna dans ses clips des années 80 à Lady Gaga dans Mother Monster, vêtue d’un costume orné de crucifix en passant par la mise en scène de Beyoncé évoquant la Vierge et l’Enfant, il y a longtemps que l’iconographie chrétienne s’est répandue dans la culture populaire.

Les collections printemps-été 2018, quant à elles, se sont éloignées de l’esthétique Renaissance qui inspirait les vêtements des années 80 et 90 dominées par le style baroque de Gaultier ou Versace. Elles ont proposé une vision plutôt marquée par le « sublime ». Par exemple, Demna Gvasalia, chez Balenciaga, a rendu hommage à son fondateur M. Cristobal Balenciaga qui était connu pour aller à la messe tous les jours. Demna Gvasalia a choisi les textiles de sa collection chez le même fournisseur que le Vatican. Son défilé a ainsi mis en scène des pièces particulières, semblables à des habits de prêtre, faites de pourpre pontificale et de soie rouge, ainsi qu’une étole couleur or, portée par le dernier mannequin. La collection printemps-été de Christopher Kane, le rebelle londonien de la mode, faisait clairement référence à ses racines catholiques, avec l’évocation d’un sanctuaire dédié à Notre-Dame de Lourdes, près de sa maison d’enfance en Écosse. Fausto Puglisi, styliste sicilien basé à Milan, a également présenté dans sa collection des crucifix, des croix cloutées en cuir et des Sacrés-Cœurs. Dolce & Gabbana ont eu notoirement recours à des images bibliques pour orner leurs vestes. Leur collection actuelle se distingue par des références à la Vierge Marie et autres saints, rendant hommage à leurs racines catholiques de Sicile.

“DOLCE & GABBANA S’EST INSPIRÉ DE LA BIBLE
POUR ORNER SES VESTES ”

Et qui peut oublier le maestro Christian Lacroix et sa collection haute couture automne-hiver 2009, avec l’un des défilés les plus poignants jamais réalisés dans le genre ? Cette collection, habituellement créée à partir de soies et de bijoux ornementés parmi les plus somptueux et les plus exubérants – grâce au travail de créateurs plus artistes qu’artisans – a été, cette fois, fabriquée à moindre coût alors que la maison Lacroix était placée en redressement judiciaire, subissant une forte réduction de ses effectifs. Cependant, aucune contrainte financière n’était capable de nuire à la parfaite maîtrise du savoir- faire de Lacroix. Ses looks de podium ont fait place à la création d’un « événement marquant de l’histoire de la mode », rendu possible uniquement grâce aux efforts collectifs, au temps offert et aux talents des couturiers, brodeurs, bijoutiers, chapeliers et cordonniers restés fidèles à Lacroix.

L’apothéose était des plus extraordinaires : le public debout, en larmes, a acclamé la robe de mariée de Christian Lacroix. Le couturier avait dessiné une longue robe de satin couleur Eau de Nil portée par une jeune mariée arborant une coiffe dorée. Évocation d’une icône religieuse ! Sur son site web, Lacroix s’exprime ainsi en parlant de la couture : « C’est fou, contradictoire, imprévisible et, surtout, c’est plus fort que moi. » De toute évidence, même si la subversion de la symbolique chrétienne n’en est pas à ses débuts, l’esthétique biblique en elle-même n’a absolument rien perdu de son pouvoir.

À New York, l’exposition actuelle du MET Costume Institute, intitulée Corps célestes : mode et imagerie catholique, qui s’étend sur plus de 17 000 m2, est la plus grande exposition jamais organisée par l’institut new-yorkais. Elle expose près de cinquante chefs-d’œuvre ecclésiastiques issus de la sacristie de la Chapelle Sixtine, parmi lesquels un grand nombre n’a jamais été exposé en dehors du Vatican : vêtements sacerdotaux et accessoires pontificaux, tels que des anneaux et des tiares datant du XVIIIe au XXIe siècle et couvrant plus de quinze pontificats. C’est la première fois depuis l’exposition sur les Collections du Vatican de 1983 que le Saint-Siège concède un prêt de cette envergure au MET.

“LA VÉRITÉ, LA BONTÉ ET LA BEAUTÉ DE DIEU
SE REFLÈTENT MÊME DANS LA MODE”

En outre, environ 150 tenues, principalement féminines, datant du début du XX e siècle à nos jours sont actuellement exposées dans les galeries médiévales et le MET Cloisters, aux côtés d’œuvres sacrées issues de la collection MET. En proposant une réflexion sur les liens entre le monde de la mode et le catholicisme, l’exposition place ces œuvres dans un contexte plus large de création artistique et religieuse et analyse ses liens avec l’historiographie du christianisme et la contribution de ces œuvres à l’esthétique catholique. L’exposition explore également les façons dont l’iconographie chrétienne et ses traditions ont façonné les esprits créatifs des couturiers. Ainsi la partie de l’exposition dédiée à la mode présente presque exclusivement des couturiers européens et américains qui ont grandi dans la foi catholique comme Azzedine Alaïa, Cristobal Balenciaga, Marc Bohan (pour la maison Dior), Coco Chanel, Jean- Paul Gaultier, Givenchy, Rei Kawakubo, Christian Lacroix, Karl Lagerfeld (pour la maison Chanel), Jeanne Lanvin, Elsa Schiaparelli et bien d’autres encore…

Cette exposition, qui résulte d’une collaboration entre le Costume Institute et le Department of Medieval Art, a été organisée par Andrew Bolton, le conservateur responsable du Costume Institute, à l’origine du thème du MET Gala et de l’exposition qui l’accompagne, qui a ouvert ses portes trois jours plus tard. « La mode et la religion ont longtemps été entrelacées. Elles s’inspirent et s’influencent mutuellement », explique Andrew Bolton. « Bien que cette relation ait été complexe et parfois contestée, elle a produit certaines des créations les plus inventives et novatrices de l’histoire de la mode. »

Le très discret Andrew Bolton, qui a reçu une éducation catholique, est considéré comme l’une des figures les plus influentes du monde de la mode. Il a préparé cette exposition en lien avec des représentants de l’Église de New-York et avec le Vatican. Le 7 mai 2018, il a déclaré à Vogue Runway : « En tant que conservateur, je m’intéresse toujours à ce qui suscite la créativité et à ce qui se cache derrière la pensée du designer et de l’artiste. Je n’aurai jamais pensé que la religion puisse jouer ce rôle. Je n’aurais jamais cru que l’éducation catholique puisse influencer le développement créatif ou l’impulsion à la créativité. » explique Bolton. « Aujourd’hui, je crois que les designers qui ont eu une éducation catholique sont imprégnés de cette tradition narrative et iconographique. L’exposition porte manifestement sur l’esthétique catholique mais au fond, il est question de créativité et de ce qui suscite la créativité. Dans ce cas précis, il s’agit de l’éducation religieuse. »

Dans un autre entretien avec The Observer, publié le 5 avril 2018, Andrew Bolton explique : « La genèse de l’exposition remonte à il y a environ cinq ans, alors que j’espérais explorer cinq religions : l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, le judaïsme et le catholicisme. Mon idée était de représenter ces systèmes de croyances au sein des galeries du MET. Mais il est devenu clair que près de 80 % des objets que j’examinais étaient inspirés du catholicisme. Ce qui est logique, en raison de la tradition historique occidentale. » « Un déséquilibre était en train de se créer. Je craignais que ce soit mal interprété ; que les quatre autres religions ne soient représentées que de manière symbolique. Et lorsque le Vatican est entré en jeu, le déséquilibre était encore plus important. J’ai alors décidé de me concentrer sur le catholicisme, car le nombre d’objets était plus conséquent. » Pour inaugurer cet événement, le Museum’s Costume Institute Benefit, également connu sous le nom de MET Gala, s’est tenu en mai cette année.

Son thème controversé, Corps célestes : mode et imaginaire catholique, a attiré à la soirée d’ouverture l’élite mondiale de la mode, de la musique et du cinéma, habillée pour la circonstance. La soirée était coanimée par Amal Clooney, Rihanna, Donatella Versace et bien sûr, Anna Wintour, la directrice de Vogue et directrice artistique de Condé Nast. Selon l’élite branchée de New York, le MET Gala est considéré comme la soirée la plus importante de l’année. La liste d’invités est très sélective, comme l’affirme un New-Yorkais mondain au New York Post : « Quand la place coûte 50 000$, et qu’Anna valide votre participation, cela va de soi que vous méritez d’y participer. » Le magazine Vogue se considère bien évidemment comme la seule autorité suffisamment influente pour décider qui fait partie de l’élite branchée de ce monde.

Mêmes si elles peuvent sembler merveilleusement ridicules aux yeux des pauvres indigents que nous sommes, les tenues sur le tapis rouge doivent refléter l’individualité, la créativité de ceux qui les portent. Plus important encore, les invités doivent respecter le sujet de la soirée, c’est-à-dire honorer le thème du catholicisme à travers la mode, sans avoir l’air de s’en moquer. Chanteuse célèbre, Selena Gomez a déclaré vouloir incarner la Reine Esther, un personnage biblique de l’Ancien Testament, qui a sauvé le peuple juif et dont le courage est commémoré lors de la fête de Pourim. Son sac à main était brodé avec les mots du Livre des Proverbes 31,30 : « La femme qui craint l’Éternel est digne de louanges ».

 

– CRÉDIT : BALENCIAGA

écrit par Mariela V. Demetriou

Ancienne directrice générale de la Fashion Week australienne, Mariela est également consultante mode et rédactrice freelance. Elle a aidé pendant plus de 23 ans diverses marques australiennes pionnières à développer leur réseau à Paris, Milan et Londres.

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