La Solidarité toutes voiles dehors

Publié le 06/01/2021

LE 8 NOVEMBRE, À 13H02 PRÉCISÉMENT, TRENTE-TROIS SKIPPERS S’ENVOLAIENT DES SABLES-D’OLONNE. AVEC POUR OBJECTIF D’Y REVENIR MOINS DE 80 JOURS PLUS TARD. CETTE ANNÉE, LE NAVIGATEUR THOMAS RUYANT PREND LE DÉPART DU VENDÉE GLOBE AVEC UNE VOILE UN PEU PARTICULIÈRE, FLOQUÉE AUX COULEURS DE LINKEDOUT, LE LINKEDIN DE L’INCLUSION. RÉCIT D’UNE COURSE DANS LA COURSE.

C’est la Coupe du monde de voile, et pour ce qui est de l’émotion populaire c’est le Tour de France. Pour les trente-trois skippers qui ont levé l’ancre ce 8 novembre, à 13 h 02 précisément, c’est l’ascension de l’Everest en hiver, seul et en chaussettes. Combien ont fini ce tour du monde en solitaire, sans équipage et sans escale ? Moins d’une centaine. « Le Tour de France, s’enthousiasme Sybille, une passionnée de ce tour du monde présente aux Sables-d’Olonne pour le départ, tu le finis sur les genoux, mais tu as des chances de le finir parce que tu es aidé. Là, c’est littéralement un exploit. » Claire Duizabo a trouvé l’image qui frappe : « Il y a plus de gens qui sont allés sur la Lune que de gens qui ont fini le Vendée Globe. » Pour la jeune communicante de 30 ans, le Vendée Globe est devenu une aventure à part. Elle est directrice de la communication de LinkedOut, un réseau social unique en son genre, et pour elle la course 2020 est chargée d’émotions. « C’est la première fois qu’un bateau porte aussi haut les couleurs d’un organisme social. » Dans cette édition, le skipper Thomas Ruyant, 39 ans, s’envole en effet sur un bateau dont la voile est floquée aux couleurs de ce LinkedIn de l’inclusion. Mais comment une association de ce genre est-elle arrivée à hisser son nom sur les voiles de Ruyant ? Et d’abord, c’est quoi LinkedOut ?

BALANCE TON C.V.

LinkedOut, pour commencer, c’est d’une certaine manière l’exact inverse de LinkedIn, le célèbre site sur lequel on expose son C.V. et met en scène ses compétences. Ce dernier, mondialement connu, fonctionne pourtant en cercles très fermés. Un trou sur votre C.V. et la suspicion est de mise. Alors si vous avez derrière vous plusieurs années de galère, comme c’est le cas des candidats de LinkedOut, autant faire une croix sur de potentielles embauches, sauf exception. « Notre but, explique Claire, c’est le retour à l’emploi pour les personnes sans réseaux. Ils ont des compétences, mais pas les codes, pas le profil. C’est profondément injuste. » De cette injustice, Claire et les équipes de LinkedOut tirent des portraits originaux qu’ils mettent en avant sur le Net. Bouche à oreille, partage de C.V. sur les réseaux sociaux, ciblage de personnalités influentes qui pourraient à leur tour partager ces C.V. de l’espace, voilà la méthode. « On dit aux gens : vous qui êtes des inclus, vous pouvez faire quelque chose pour ces exclus. » Sur la promo de 80 personnes, beaucoup sont issus de l’aide sociale à l’enfance. Et pourtant, tous ont eu un travail, développé des compétences, ont fait preuve d’altruisme, de ponctualité, d’esprit de sérieux. C’est la force que ce nouveau réseau met en avant. Plutôt que de s’arrêter sur les zones d’ombre, LinkedOut joue la carte de la confiance. Les profils, eux, sont très variés : Krzysztof, ancien champion junior de judo (2 fois champion en Pologne, 1 fois champion d’Europe) ; Ross, un ancien prof d’anglais et journaliste ; Marie-Émilie, passionnée de coiffure ; Zabiullah, qui cherche à travailler en boulangerie ; mais aussi des informaticiens, un ancien footballeur maraîcher et une myriade de savoir-faire qui complètent cette promotion inédite.

CAP OU PAS CAP ?

Thomas Ruyant a déjà porté les couleurs d’une cause sociale, celle du Projet Imagine, une ONG qui « forme, inspire et pousse à l’action » au moyen de films et de documentaires. C’était en 2016, lors du dernier Vendée Globe. Quatre ans plus tard, le skipper a fait confiance à son propulseur, l’entreprise Advens, pour filer vers les trois caps avec une voile floquée LinkedOut. « Là, c’est inédit, le bateau porte le programme social, c’est pas un simple sponsor », poursuit Claire. Tout a commencé quelques mois plus tôt, lorsque le fondateur de LinkedOut, Jean-Marc Potdevin, se laisse convaincre par un ami. « Tu veux toucher le grand public ? Fais le Vendée Globe », me lance-t-il. « L’idée me paraissait totalement incongrue, surtout que je connais bien la voile et les difficultés à monter de tels projets », détaille l’entrepreneur social. De fil en aiguille, il fait la connaissance d’Alexandre Fayeul, patron d’une grosse boîte de sécurité, qui prépare de son côté le bateau idéal pour franchir les trois caps en tête. « Ça a fitté tout de suite entre eux, se remémore Claire. Alexandre a eu un vrai coup de cœur pour notre asso, c’est surtout ça qui l’a décidé à s’engager. » Alexandre Fayeul, qui est présenté comme un intuitif, se laisse convaincre par le « comité de la rue », le bureau des permanents d’Entourage, la maison mère de LinkedOut. Il comprend, en les côtoyant, que l’équipe envoie un message différent. Au point que le constructeur du bateau laisse le champ libre à l’asso pour communiquer, floquer son nom en long et en large pour la cause. Dans le même temps, dix-sept salariés d’Advens deviennent des « coach bénévoles » pour les candidats LinkedOut, une mission qui consiste à lustrer les C.V. et à encourager ces sans-emploi. « Au début, je me suis demandé si ce projet était vraiment raccord avec notre mission, explique Jean-Marc Potdevin. J’ai posé la question au comité de la rue, ils m’ont dit très simplement que c’était pour eux une occasion rare d’être mis en avant à ce point. » Question exposition médiatique, l’asso espère conquérir le cœur des Français et attraper une belle couverture presse. C’est que, derrière la course, il y a un message fort. « Thomas Ruyant n’est pas sponsorisé par du fromage, et ça le public le verra forcément », rigole cet ancien de Yahoo. Voilà une image qui parle plus encore : « Un sans-réseau, c’est comme un skipper du Vendée Globe. Tu fais une course en solitaire, sans équipage et sans escale », s’épanche Marine, la directrice du projet, installée à Lorient. Près de Lorient, justement, Marine a fait le lien entre l’équipe de Thomas Ruyant et les 80 candidats.

Aux Sables-d’Olonne, depuis quelques jours, les équipes interpellent les curieux, les passants, les inconditionnels de cette course. La responsable du projet, qui a travaillé pendant 13 ans dans la com sportive, se laisse toucher par un projet qui la dépasse. « On est tous en quête de sens. Depuis la crise sanitaire, on se rend compte de plus en plus qu’on n’a pas des métiers indispensables, et dans l’évènementiel sport on se demande souvent ce qu’on peut apporter à la société. Avec ces 80 candidats au passé difficile, il y a du sens, partout, tout le temps. » Question sens, Jean-Marc Potdevin, lui, fait le pari du contre-courant. « On navigue face au vent avec LinkedOut. Nous vivons une crise économique majeure et on demande aux entreprises d’embaucher des profils particuliers, qui n’offrent pas les garanties habituelles. » Ne pas toujours suivre le sens du vent, telle est la leçon de cette promo Vendée Globe hors du commun.

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écrit par Paul Piccarreta

Paul a le caractère méditerranéen, le verbe haut et un passement de jambe incroyable au city stade de Nanterre le samedi après-midi. Il déteste l’injustice et le mauvais journalisme. Il aime le bon vin et les débats sans fin. Il dirige les éditions de l'Escargot et la rédaction de la revue Limite.

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