JÉSUS, D’AMSTERDAM À PARIS
C’était en mars dernier, le 28 exactement. Nous étions à l’Olympia, curieux comme jamais. Pascal Obispo, Christophe Barratier et Christophe Sabot présentaient un spectacle au nom peu commun : Jésus, de Nazareth à Jérusalem. Même si nous étions venus pour ça, il a fallu qu’on se coince le doigt dans une porte pour être sûrs d’être bien réveillés. Le spectacle allait véritablement raconter l’histoire de Jésus. Celui-là même qui distribue des pains, ressuscite les morts et se balade sur la flotte. Comme au temps de notre bon vieux catéchisme.
Enfants de l’édition et de la presse, la curiosité a pourtant toujours été notre mantra. Quelques années plus tôt, nous nous étions enthousiasmés pour un magazine hollandais assez déjanté. Les éditions LenteMedia avaient eu l’audace de sortir aux Pays-Bas un Jésus Magazine fantasque et spirituel, cool sans être grossier, de guingois sans être tordu. Le rédacteur en chef principal était Arthur Japin, l’un des plus célèbres romanciers du pays, ayant une réputation de bouffeur de curé et de débauché notoire. Ils lui ont lancé un défi : “On te paie un aller-retour pendant 40 heures dans le désert du Néguev en Israël. Tu seras tout seul dans une cabane avec les Évangiles, tu les liras et ensuite tu dirigeras un magazine sur Jésus en tant que rédac-chef.” Et voilà ! Ainsi, des artistes, des chefs cuistots, des inconnus comme des célébrités, des croyants de toutes les religions comme des incrédules d’autant d’écoles, se sont prêtés au jeu en répondant à la question que Jésus pose à ses disciples : “Pour vous, qui suis-je ?” À une époque où l’histoire commune est vacillante, titube comme un soldat romain après des jours de bacchanale, on ne pouvait que s’enthousiasmer de cette démarche. Amusés, on s’était dit qu’on aimerait adapter ce magazine en France.
“ET COMME L’OCCASION FAIT LE LARRON,
L’ANNONCE DE LA FRESQUE MUSICALE EST ARRIVÉE À POINT !”
LA FRANCE A UN INCROYABLE TALENT
Pourquoi des artistes et des producteurs ont-ils choisi Jésus comme sujet ? Pour faire un beau spectacle, d’accord, mais pourquoi diable Jésus ? Voir autant de moyens rassemblés (6 millions d’euros de budget) par Sony, Vivendi et TF1 et de talents réunis, pour une figure qui laisse goguenard une partie des Français, ou dont le rapport avec eux est pour le moins ambivalent, voilà qui est étonnant. Nous nous sommes souvenus de la parabole des talents. Vous savez, ce texte coincé dans l’Évangile de Matthieu entre une histoire de lampes à huile et une autre histoire de damnation éternelle. Un texte dont le précepte est le suivant : il ne faut pas enterrer ses dons sans vouloir les faire fructifier, c’est- à-dire les mettre au service du plus grand nombre. Jésus peut encore mobiliser autant de talents et de puissance médiatique. Voilà ce qui nous a intrigués et lancés dans une dynamique de plusieurs mois.
L’intérêt porté par ces différents partenaires à la figure de Jésus était tout à la fois sincère, ambitieux, culturel, social et spirituel. Nous sommes allés voir Pascal Obispo pour lui soumettre l’idée du mag. D’abord interloqué, il a répondu “Pourquoi pas ?”. Quelques jours plus tard, le pourquoi pas s’est transformé en oui. Et peu de temps après, Laurent Rossi, patron du label chez Sony Music, nous confie qu’il aime particulièrement notre idée. Un Jésus Magazine, mais un Jésus qui ne serait ni dédié aux seuls croyants, ni aux seuls “bouffeurs de curés”, qui explorerait l’impact culturel de cet homme, né il y a 2 000 ans, dans notre société contemporaine. “Un Jésus moderne”, tranche-t-il. Ce qui colle complètement avec le spectacle et les déclarations d’intention de son metteur en scène, Christophe Barratier et celles de Pascal Obispo, qui a accepté de se prêter au jeu du rédacteur en chef.
JÉSUS EXISTE, NOUS L’AVONS RENCONTRÉ
Et nous voici un mardi d’octobre au Palais des sports. Il est 13h. Dans les couloirs de la mythique salle de spectacles, porte de Versailles, on entend danseurs et danseuses répéter depuis des heures la même chorégraphie. Les techniciens s’activent pour vendredi. Tout le monde ne pense qu’à ce jour. L’équipe de la comédie musicale présentera le “filage” de l’acte I. Mike Massy sort de sa loge pour enchaîner sur une séance photo d’une heure. Il est épuisé, mais son premier grand rôle français lui va à merveille : Jésus. Un personnage pour les doux. “Ça ne vous dérange pas si je garde mes cheveux couverts pour les photos ?”, demande celui que Pascal Obispo est allé chercher au Liban. Et c’est vrai que ce tissu blanc cerclant son visage et balayant sa tête rehausse et l’acteur et le personnage. Dieu est dans les détails. La photo a déjà fait le tour de France, et Mike Massy est devenu littéralement une icône. Un doux, pas un tendre. Le chanteur Libanais – véritable star au Moyen- Orient – travaille avec acharnement ce rôle depuis des semaines et l’a pris très à cœur. Au pays du Cèdre, on en a fait un ambassadeur et il le sait, le découvre chaque jour de plus en plus. À table, c’est le pasteur Éric Célérier qui le lui rappellera : sur son site topchretien.com, ce dernier reçoit des tas de courriers de Libanais. Il lui lira une cinquantaine de mails, messages de soutien, déclarations d’affection. Le temps de finir nos lasagnes et c’est déjà la fin de la pause. Mike reprend sa vie normale : maquillage, photos, répétions…
JOUR DE FILAGE. MISSION : RINGARDISER COPPERFIELD
La lumière s’éteint dans la salle. Christophe Sabot, producteur du spectacle, prévient les journalistes : “Ce filage montre une ébauche, soyez indulgents”. L’ébauche ébaubit pourtant Grégory Turpin, célèbre chanteur chrétien. “La scène de la première pierre m’a donné des frissons [Jésus défend la femme adultère Marie-Madeleine alors que d’autres veulent la lapider, NDLR]. Le texte, la mise en scène et la musique renvoient parfaitement au mystère de cette scène des Évangiles”. Une chose frappe les yeux : il est des sobriétés éclatantes. De l’aveu de Christophe Barratier, la mise en scène n’est pas faite pour éblouir le spectateur, mais pour canaliser son attention et la faire grandir. “Si j’avais voulu montrer des miracles à coup d’effets spéciaux, j’aurais fait appel à David Copperfield ! Et on aurait sans doute frisé le ridicule artistiquement. Après quatre années à avoir étudié les textes, je me suis dit que si l’on aime Jésus pour ses tours de magie, on passe peut-être à côté du message.” Cette retenue donne à la chanteuse Anne Sila, incarnant Marie la mère de Jésus, une facilité supplémentaire pour se plonger dans son rôle :
“On sent que Christophe Barratier cherche du vrai dans ce spectacle, et non des tours de passe-passe qui explosent de partout, lâche-t-elle en riant. Cela me permet de faire un boulot intérieur assez précieux. Et pour l’instant, le résultat est imposant de sobriété et d’esthétique.” Le rideau est tombé. Un ange passe, puis des applaudissements appuyés. Autour de Christophe Sabot, un petit groupe se forme : “L’urgence est de couper deux minutes au spectacle, assure le producteur. […] Il manque encore le rodage, mais visiblement, on n’est pas loin du compte.” À onze jours de la première, comédiens, chanteurs et danseurs savent que le plus dur reste à venir. Anne Sila conclut : “On est en train de se rendre compte que quelque chose de plus grand que nous est en train de se passer”. Il faut le voir pour le croire.
JÉSUS DANS NOS COULISSES
On a vécu avec ce spectacle pendant des mois. Lorsque Paris se couvre d’affiches de la fresque musicale, au mois de mars, le livret n’est pas finalisé et la mise en scène n’existe pas. Nous, la rédac, on a cru sans avoir vu. Et c’est ainsi que nous avons avancé, main dans la main, sans trop savoir où nous emmènerait l’autre. On a voulu que nos Jésus respectifs soient modernes, quitte à être déboussolants. Celui du musical a réussi là où beaucoup de pieux chrétiens auraient peut-être échoué. Cette fresque musicale n’est pas un spectacle parmi d’autres, elle est un petit chef-d’œuvre qui sait émouvoir sans tirer sur d’énormes ficelles. Elle remue les méninges sans donner de leçons de troisième cycle universitaire. Elle rappelle enfin que son succès, démontré par l’excellent bouche-à-oreille qui l’entoure, est bâti sur un travail d’ascèse artistique. Si l’écriture est grandiose, l’humour y est aussi abondant, et on tient le pari que la musique, elle, fera son chemin dans les playlists des Français. Pascal Obispo a composé comme il a su souvent le faire : en sentiment et en profondeur. La Bonne nouvelle a tout d’un tube, et si les radios françaises étaient moins frileuses, on l’aurait eu plus souvent en tête ces derniers temps. Question mise en scène, un détail, qui a valeur d’essentiel : le personnage de Judas apparaît comme un type très sympathique tout au long du spectacle ! À l’origine, le comédien qui incarne le “traître” avait été choisi pour jouer Jean. Christophe Barratier a eu l’idée tout à fait géniale de brouiller les pistes. Jean, le doux, semble l’être moins que Judas, le violent. C’est une leçon de philosophie élémentaire : chacun sait qu’il peut être à la fois traître et fidèle. Ce spectacle est à l’image de ce Jésus que vous tenez entre les mains. Avec ce magazine, nous avouons que Jésus est une idole pas seulement religieuse, mais aussi culturelle et populaire. Malgré toutes les critiques que l’on peut faire à l’égard de la religion, Jésus a encore quelque chose à dire. Qu’ils soient médecins, chefs cuisiniers, sociologues, sportifs, musiciens, grands reporters, tous les intervenants de la revue brillent dans leur domaine. Ils nous parlent du Nazaréen, selon des modalités très différentes parfois, comme un inspirateur de leur vie, un guide, quelqu’un qui les conforte dans des choix, ou tout simplement les amuse. Un homme aussi qui, parfois, se glisse dans les coulisses du cœur et de l’esprit. Et ça, il faut le lire pour le croire.