LE 4 AOÛT DERNIER, PLUS DE 2700 TONNES DE NITRATE D’AMMONIUM EXPLOSENT DANS LE PORT DE BEYROUTH, FAISANT PRÈS DE 200 MORTS ET 6000 BLESSÉS. DANS LES ENVIRONS DE LA ZONE PORTUAIRE, TROIS HÔPITAUX SUR QUATRE SONT PARTIELLEMENT DÉTRUITS. MALGRÉ TOUT, SOIGNANTS ET SECOURISTES, ET NOTAMMENT DES RELIGIEUSES, ONT SAUVÉ DES CENTAINES DE VIES.
Dans le silence de la chapelle de l’hôpital libanais Geitaoui, sœur Jeannette égrène son chapelet. Sa montre indique bientôt 18 h 10. En tant que responsable de l’imagerie médicale, elle doit rejoindre rapidement le service pour sa garde. Un dernier signe de croix, puis elle sort. « J’ai pris mes clefs, raconte-t-elle d’une petite voix, et boum… »
« ISRAEL IS BOMBING ! »
Au même moment, Rita termine sa journée de travail. Cela fait quelques mois que la jeune juriste de 25 ans est en stage de fin d’études dans une agence de voyages installée à Al Mickeal, un quartier de Beyrouth situé à une centaine de mètres du port. Le bruit sourd d’une première explosion la fait réagir immédiatement. « J’ai tout de suite crié à ma patronne : “Éloigne-toi des vitres, Israël nous bombarde !” » Originaire de Tyr, au sud du Liban, Rita a grandi dans cette hantise. « Nous connaissons les réflexes à adopter en cas d’attaque, dit-elle avec un sourire, mais la deuxième explosion… » Rita interrompt son récit, ouvre de grands yeux et rejoue l’évènement mentalement. « Je me suis sentie aspirée puis projetée au sol », explique-t-elle en imitant sa chute. Sonnée, la jeune femme se relève. « Quand je suis sortie de l’immeuble, il y avait des blessés partout. » Secouriste à la Croix Rouge pendant six ans à Tyr, Rita est pompier volontaire dans une unité de Beyrouth depuis la fin de ses études. Face à l’urgence, « [elle a] réagi uniquement par réflexe [et] porté secours à des gens à droite à gauche ». Son entreprise est située à côté d’un café de la chaîne Starburcks dont les vitres ont littéralement explosé. « Il y avait des bouts de verre qui tombaient sur les clients en les blessant gravement… J’ai tenté de sauver un homme dont le genou était à moitié coupé et retourné. » Dans ce chaos de poussière et de cris, Rita aperçoit un garçon soutenant sa mère ensanglantée. Ils cherchent un hôpital. « J’ai essayé de les guider. » Ce que ne sait pas encore la jeune secouriste c’est que dans le périmètre du port trois hôpitaux sur quatre sont partiellement détruits, dont l’hôpital libanais Geitaoui.
UNE PRISE EN CHARGE RAPIDE MALGRÉ LES DESTRUCTIONS.
Les deux jambes criblées de morceaux de verre, sœur Jeannette revient à elle. Ses premières pensées vont vers les religieuses de la chapelle. « Finalement, j’étais la seule à être blessée », souligne-t-elle en souriant. Une fois rassurée, elle se précipite sur le parking de l’hôpital où s’accumulent sans discontinuer des hommes et des femmes en sang. Elle y installe le scanner sur les ordres de sœur Hadia, la codirectrice de l’hôpital.
« Il fallait organiser, dans l’urgence, un parcours de prise en charge des patients. En une nuit, nous avons soigné 205 blessés alors que, sur les 44 000 m2 de l’hôpital, pas un seul n’était en bon état », explique sœur Hadia. La religieuse a les traits tirés. Fébrile, elle raconte cette nuit d’angoisse. Ascenseurs, blocs opératoires, chambres… Tout est détruit. Les plafonds se sont effondrés. Les lourdes portes coupe-feu sont tordues en forme de U. Les couloirs sont jonchés de débris. « Craignant un incendie, les techniciens avaient coupé le courant. J’ai dû batailler pour qu’ils remettent l’électricité. Nous avions vingt patients sous respirateur artificiel, dont treize atteints du coronavirus ! » Sœur Hadia se précipite ensuite aux urgences. « Il y avait énormément de patients avec des blessures hémorragiques. »