Au Congo, le viol des femmes est une arme de guerre

Publié le 10/12/2018

SURNOMMÉ « L’HOMME QUI RÉPARE LES FEMMES », CE MÉDECIN CONGOLAIS A SOIGNÉ DES MILLIERS DE SURVIVANTES DE VIOLS DE GUERRE. AVEC POUR INSTRUMENT PRIVILÉGIÉ SA FOI EN UN DIEU DE MISÉRICORDE.

Le salon feutré de l’hôtel est calme. La nuit s’est abattue sur ce quartier parisien, qui semble désert. Ce soir, j’ai rendez-vous avec un Juste. Un de ceux dont seul le nom suffit à inspirer le respect. J’ai profité de son passage en France pour solliciter une entrevue. Assis dans un fauteuil confortable, j’ai dégainé carnet et stylo. Soudain, une porte s’ouvre. Le Dr Denis Mukwege rejoint ma table, précédé de sa réputation.

« L’homme qui répare les femmes ». Un titre lourd à porter, mais qui a le mérite de la clarté. Si l’on voulait être plus précis, il faudrait un peu le modifier : « l’homme qui, depuis vingt ans, a réparé plus de 40 000 femmes victimes de viols ». Gynécologue de formation, il opère dans l’est de la République démocratique du Congo. Lauréat du prix Sakharov 2014, décerné par le Parlement européen pour récompenser la défense des droits de l’homme, il a été inscrit parmi les 100 personnes les plus influentes du monde, par le magazine Time, en 2016. Pourtant, les multiples éloges du Dr Mukwege oublient souvent un aspect essentiel de sa personnalité : la foi chrétienne, enseignée par son père, pasteur pentecôtiste, et qu’il a fait sienne. Il est lui-même prédicateur.

En s’asseyant en face de moi ce soir, il a posé sur la table une Bible dans son étui de cuir. Le mot ciselé, un brin de méfiance dans la voix, le médecin me regarde droit dans les yeux. Il me demande : « Quel est votre background ? » Je commence à lui décliner mes études et mon parcours en journalisme, avant qu’il ne m’interrompe doucement. « Non… je voulais dire : votre background avec le Seigneur ! » Le ton est donné, il souhaite s’entretenir avec un ami de Jésus ! Denis Mukwege naît en 1955 à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, dans un pays qui était alors une colonie belge. Une région fertile, couverte de forêts et de champs, situées sur les bords du lac Kivu, qui forme une frontière naturelle avec le Rwanda. Sa famille fut évangélisée par la Mission pentecôtiste suédoise.

En 1960, alors qu’il n’a que cinq ans, une mutinerie embrasa le jeune État congolais qui venait d’obtenir son indépendance, prenant pour cible les Blancs, assimilés aux colons. Sous les yeux du petit Denis, des soldats lynchèrent un des missionnaires suédois devant l’autel de l’église. Il éprouva immédiatement une détestation de l’injustice. En grandissant, il accompagna son père faire la tournée des malades. « Je le voyais leur imposer les mains. Un enfant pris de convulsions, qui allait mourir à défaut d’assistance médicale, m’a bouleversé. », raconte-t-il. Le choc lui inspira une décision irrévocable : il sera médecin. Son diplôme obtenu, en 1983, il partit se spécialiser en gynécologie à l’université d’Angers, en France, grâce à une bourse de la Mission suédoise, avant de revenir dans sa région natale en 1989. « Ma grande préoccupation à l’époque était la mortalité infantile à la naissance. » Mais la providence avait d’autres plans pour lui.

En 1998, un mouvement rebelle renversa le maréchal Mobutu, au pouvoir depuis 1965. La chute de l’autocrate répandit l’anarchie dans le pays. Le Dr Mukwege était alors directeur d’un hôpital à Bukavu, qu’il venait tout juste de créer. « Ma première patiente fut une femme qui avait été violée. Son agresseur avait tiré à bout portant sur son appareil génital. Je me suis dit que c’était un cas isolé. Mais au bout de trois mois, 45 femmes se sont présentées avec des blessures identiques. Je découvrais une nouvelle pathologie : le viol avec extrême violence. » Depuis, ce sont 40 000 victimes de ces exactions commises par divers soudards qui ont été soignées par le gynécologue, devenu un chirurgien tristement expert en mutilations sexuelles.

Sa voix se fait lasse. « C’est démoniaque. Le viol est une arme de guerre satanique, qui détruit la femme et son entourage, jusqu’à l’Église, dont la cellule de base est la famille. » Outre les soins médicaux, son hôpital prodigue aux victimes un soutien juridique, psychologique et spirituel. « Sans la foi, ce serait beaucoup plus difficile de guérir les blessures infligées », constate-t-il. Le Dr Mukwege est impressionné par la résilience des femmes qu’il opère. « Très peu se révoltent contre Dieu. Il faut être humble devant elles. » Pour sa part, il avoue qu’il a déjà été tenté de reprocher ces atrocités au Tout-Puissant. « Je me suis posé la question. Dieu nous donne sa grâce, mais aussi le choix. C’est de la perversion humaine que vient le péché. » Citant l’Ecriture de mémoire, le pasteur-médecin rappelle l’exhortation suppliante de Dieu envers Caïn, avant qu’il n’assassine son propre frère : « Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien… Le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer » (Gn 4,7).

Pourtant, le Dr Mukwege ne veut pas rester inactif face au mal. Il désigne deux coupables principaux du conflit qui continue de ravager l’est du Congo : le régime de Joseph Kabila, qui a succédé à son père en 2001, tombeur de Mobutu et qui refuse de passer la main, ainsi que les multinationales qui achètent le silence des milices pour exploiter le coltan, un minerai indispensable à la fabrication d’ordinateurs et de téléphones portables. « Dans mon pays, des zones entières se vident à cause de gadgets électroniques ! Si cette exploitation était réglementée, les bandes armées ne se battraient plus sur le corps des femmes. La solution ultime, c’est la paix », martèle le médecin. Pour sa liberté de parole, il a échappé à six tentatives d’assassinat.

Comme Jésus, le Dr Mukwege n’est pas prophète en son pays. Sa voix porte davantage en Occident qu’en République démocratique du Congo. Comme Jésus, il est perçu par certains comme un Messie politique, capable de rétablir la paix et la justice. De quoi donner du grain à moudre aux nervis du pouvoir, qui l’accusent d’être manipulé par l’étranger.

À n’en pas douter, la mission de l’homme qui répare les femmes n’est pas terminée. En le quittant, me reviennent les paroles de Jésus, adressées à Pierre la veille de la Passion : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point ; et toi, quand une fois tu seras revenu, fortifie tes frères » (Lc 22, 32).

 

écrit par Pierre Jova

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